1692, bataille navale au large du Cotentin
1692, bataille navale au large du Cotentin
Une exposition des Archives départementales, Maison de l'histoire de la Manche sous la direction de Jean-Baptiste Auzel, directeur des archives départementales.
Textes et conception graphique, Jérémie Halais.
12 mai 1692, la flotte quitte Brest
En 1692, la France est engagée dans la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697). Louis XIV doit affronter de nombreux états européens groupés derrière la bannière de Guillaume d'Orange, stathouder de Hollande. Ce prince protestant est roi d'Angleterre depuis 1689, après que son oncle et beau-père, le catholique Jacques II, ait été chassé du trône.
Réfugié en France, Jacques II persuade Louis XIV de mener un débarquement en Angleterre où il disposerait encore de nombreux soutiens. Le commandement de l'opération est confié au roi Stuart déchu, à l'intendant Bonrepaus et au maréchal de Bellefonds. Près de 20000 hommes sont rassemblés à Saint-Vaast-la-Hougue pour mener à bien cette tentative d'invasion. Tourville a pour mission de commander la flotte qui doit leur permettre de traverser la Manche.
Pressé par les ordres de Louis XIV, Tourville appareille donc le 12 mai avec 44 vaisseaux. Il est pourtant privé du renfort de la flotte du Levant commandée par Victor Marie d'Estrées.
Portrait de Louis XIV, gravure extraite de Larmessin, Nicolas de, Les Augustes représentations de tous les roys de France..., en 65 portraits
Paris, F. Hurand, 1714.
Archives départementales de la Manche,
réserve des livres rares et précieux, Bib Rés C 262.
La flotte anglo-hollandaise
Le 24 mai 1692, les vaisseaux anglais et leurs alliés hollandais se regroupent à proximité de l’île de Wight.
Le commandant de cette flotte coalisée est l'amiral Edward Russel, personnage de premier plan durant la Glorieuse Révolution et Admiral of the fleet depuis 1690. Entre juin et août 1691, il a pourchassé, en vain, la flotte commandée par Tourville à travers la Manche ; un épisode plus connu sous le nom de campagne du large.
L'amiral Russel dispose d'une force bien supérieure à celle de Tourville :
Anglais | Hollandais | Français | |
---|---|---|---|
Navires | 59 | 26 | 44 |
Canons | 4012 | 1850 | 3140 |
Hommes | 39000 | 39000 | 21000 |
L'affrontement
Le 29 mai 1692, les deux flottes se rencontrent au large de Barfleur, à sept lieues de la côte. Vers 10 heures du matin, la brume se dissipe, les deux lignes engagent le combat.
Les Français, inférieurs en nombre, cherchent à éviter un encerclement. Ils étirent pour cela au maximum la distance entre leurs navires .
Certains bâtiments français combattent à un contre trois. Le Soleil-Royal, que commande Tourville, subit le feu intense de quatre, puis de cinq vaisseaux.
La marée et les vents éloignent finalement les deux escadres. Vers 22 heures, les Français s’échappent. Ils déplorent 1700 morts ou blessés mais ils n'ont perdu aucun navire. Les Anglo-Hollandais, en revanche, comptent 2000 morts, dont deux amiraux, 3000 blessés et plusieurs vaisseaux coulés. La victoire penche du côté français mais le projet de débarquement est compromis.
Plan of engagement between the capes La Hogue and Barfleur
Estampe aquarellée, XVIIIe siècle.
Archives de la Manche, collection des estampes, 1 Fi 5/795.
Nous sommes ce qui s'appelle échignés et criblés de coups, étant désemparés de tous mâts et voiles et la plus grande partie de notre équipage tué ou blessé. Il faut que ces gens-là aient bien peu de feu et de vigueur pour ne pas nous avoir tous mis en cannelle avec une armée aussi nombreuse.
La Roche-Allard, capitaine du Henry, Journal de bord, 29 mai 1692 (Arch. nat., Marine B/4/14).
La retraite
Après cette première bataille, Tourville doit trouver un abri pour ses vaisseaux endommagés et à court de munitions.
Le 31 mai, 22 bâtiments réussissent à gagner Saint-Malo. Deux autres se sont réfugiés au Havre. Les trois navires commandés par André de Nesmond sont rentrés à Brest en contournant les îles britanniques. Une quinzaine de vaisseaux n'ont pas pu franchir le Raz-Blanchard, ce passage maritime entre la pointe de la Hague et l'île d'Aurigny, où les courants sont parmi les plus forts d'Europe.
Les navires qui naviguent encore au large du Cotentin sont en mauvais état. Ils sont aussi poursuivis par la flotte de l'amiral Russel. Le Soleil-Royal mouille donc au large de Cherbourg où il est rejoint par l'Admirable et le Triomphant. Tourville mène le reste de la flotte vers la rade de la Hougue.
Le 1er juin, le Soleil-Royal, le Triomphant et l'Admirable sont attaqués et brûlés par les Anglais en rade de Cherbourg.
La Hougue
Le 2 juin, Tourville est toujours sous la menace de la flotte anglo-hollandaise. Réfugié à la Hougue, il ordonne à ses vaisseaux de s'échouer sur l'île Tatihou et dans la rade. Il peut ainsi sauver ses hommes, les vivres mais surtout une bonne partie des pièces d'artillerie. Le 3 juin les chaloupes adverses incendient les navires français : le Bourbon, le Saint-Louis, le Gaillard, le Terrible, le Merveilleux, le Tonnant, le Foudroyant, le Fort, l'Ambitieux, le Saint-Philippe, le Magnifique et le Fier.
D'un point de vue stratégique, les pertes de la Hougue ne sont pas désastreuses. En effet, elles sont équivalentes à celles subies, deux ans plus tôt, par la coalition à la bataille de Béveziers. Certes, le projet de débarquement en Angleterre est abandonné mais les Français peuvent, dès 1693, réarmer 94 vaisseaux et lever 44000 hommes. En outre, en mars de la même année, Tourville, désormais maréchal de France, détruit un important convoi marchand au large du Portugal.
The battle at La Hogue, par William Woollett d'après Benjmain West
Estampe aquarellée, XVIIIe siècle.
Archives de la Manche, collection des estampes, 1 Fi 5/730.
Les épaves de La Hougue
Le 2 juin 1692, six vaisseaux se sont échoués sur Tatihou et six autres derrière la pointe de la Hougue. Dans les années qui suivent l'affrontement, la monarchie ordonne des campagnes de récupération des matériaux et des pièces d'artillerie. Les vestiges tombent ensuite dans l'oubli.
En 1985, Christian Cardin, un plongeur manchois, localise cinq épaves à proximité de l'île. Or, le site est alors l'objet d'un projet de réhabilitation mené par le conseil général de la Manche. En 1989, la collectivité finance donc un programme de fouilles sous-marines confié aux archéologues Michel L'Hour et Élisabeth Veyrat.
Durant cinq années, le Saint-Philippe, le Magnifique, l'Ambitieux, le Foudroyant et le Merveilleux sont ainsi étudiés. Il s'agit de cinq vaisseaux de premier rang, construits entre 1665 et 1691 et qui sont, à ce titre, représentatifs des techniques de construction navale du règne de Louis XIV.
Une partie des 600 objets trouvés, témoignages de la vie quotidienne à bord, est aujourd'hui présentée dans l'exposition permanente du musée maritime de l'île Tatihou.
La Hogue, par A. Ballin
Estampe, XIXe siècle.
Archives de la Manche, collection des estampes, 1 Fi 5/726.
Anne-Hilarion de Costentin de Tourville
La famille de Tourville est originaire de Tourville-sur-Sienne, sur la côte occidentale du Cotentin. Anne-Hilarion s’engage très jeune sur les galères de l’ordre de Malte où il combat les Barbaresques. Capitaine de vaisseau en 1669, il obtient un commandement dans la flotte constituée afin de secourir les Vénitiens assiégés par les Turcs dans la forteresse de Candie. Le marin combat ensuite la piraterie en Méditerranée.
Lors de la guerre de Hollande (1672-1676), Tourville s’illustre à la bataille de Solebay (7 juin 1672). Chef d'escadre en 1675, à 33 ans, il remporte des succès au cours de la campagne de Sicile (1674-1676). Durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), le vice-amiral du Levant (depuis 1689) est encore victorieux au cap de Béveziers (Beachy Head, 1690) et commande la flotte française à la bataille de Barfleur (1692). Maréchal de France en 1693, Tourville meurt de la tuberculose en 1701, à l'âge de 59 ans.
La France perdit le plus grand homme de mer, de l'aveu des Anglais et des Hollandais, qui eût été depuis un siècle, et en même temps le plus modeste. [...] Tourville possédait en perfection toutes les parties de la marine, depuis celle du charpentier jusqu'à celles d'un excellent amiral. Son équité, sa douceur, son flegme, sa politesse, la netteté de ses ordres, les signaux et beaucoup d'autres détails particuliers très utiles qu'il avait imaginés, son arrangement, sa justesse, sa prévoyance, une grande sagesse aiguisée de la plus naturelle et de la plus tranquille valeur, tout contribuait à faire désirer de servir sous lui, et d'y apprendre.
Saint-Simon, Mémoires, 1729.
Le Soleil-Royal de Tourville
Estampe, XXe siècle.
Archives de la Manche, collection des estampes, 1 Fi 5/729.
Le Soleil-Royal, fleuron de la flotte
À la fin des années 1660, la France intensifie son programme de construction navale. La deuxième guerre anglo-hollandaise (1665-1667) a en effet montré la supériorité de la Navy sur la marine royale.
L'effort se concentre sur la mise en chantier de vaisseaux de premier rang, des trois-ponts jaugeant entre 1400 et 2400 tonneaux qui embarquent entre 70 et 120 canons. Les plus importants de ces bâtiments sont le Royal-Louis (168-1692) et le Soleil-Royal (1669-1692), respectivement les navires amiraux des flottes du Levant et du Ponant.
Ces deux vaisseaux sont emblématiques du nouvel outil militaire constitué par le royaume de France. Ils le sont aussi de la politique de grandeur menée par Louis XIV, souverain dont ils portent d'ailleurs le nom. Outre leurs dimensions et le nombre de canons embarqués, leur puissance s'exprime aussi par les riches décors qu'ils offrent à la proue comme à la poupe. Cette ornementation ralentit leur construction - et parfois leur comportement à la mer - mais elle en fait aussi des pièces uniques. Une originalité qui est voulue par le pouvoir puisque le règlement du 4 juillet 1670 précise : « Les seuls vaisseaux le Royal-Louis et le Soleil-Royal, auront un château sur l’avant de leur troisième pont ; et à l’égard de tous les autres vaisseaux Sa Majesté défend d’y en faire aucun ».
Lancé en 1669, le Soleil-Royal est remanié de façon importante en 1689. Le vaisseau voit surtout son ornementation être allegée et modifiée. Vaisseau amiral de Tourville, il combat à Béveziers (1690) et à Barfleur (1692). Il y subit d'importants dommages qui ne lui permettent pas d'échapper, le 1er juin, à l'attaque anglaise, en rade de Cherbourg.
De la bataille aux fortifications
Les événements 1692 révèlent le manque d'installations militaires dans le Cotentin. En effet, la flotte de Tourville, victorieuse à Barfleur, n'a pas trouvé d'abri pour se réfugier sur les rivages normands.
Lors de son inspection en 1686, Vauban a déjà souligné la faiblesse de la presqu'île : facile à occuper pour un adversaire venant de la mer mais difficile à reprendre par la terre. Si les premiers ouvrages fortifiés ont été édifiés sur Tatihou en 1689, les deux tours sont élevées en 1694 par un élève de Vauban, Benjamin de Combes. Elles offrent ainsi des points d'observation sur le large et des positions défensives contre un éventuel mouillage de l'ennemi.
Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle, et un débarquement anglais en 1758, pour que Louis XVI ordonne l'aménagement de la rade et du port de Cherbourg. Un chantier qui se prolonge par d'importants travaux de fortification durant tout le XIXe siècle.
Sources et bibliographie
Sur la bataille de Barfleur et sur la Hougue
Registre paroissial de Cherbourg pour l'année 1692, folios 43, 44, 46 et 49.
Collection des cartes et plans, 1 Fi 3.
Collection des estampes, 1 Fi 5 : Barfleur et La Hougue.
Clowes, William Laird, The royal Navy. A history from the earliest times to the present, London, Sampson Low, Marston and Company, 1897, vol. II.
Détrée, Jean-François, Les vaisseaux de Tourville, Saint-Vaast-la-Hougue, Musée maritime de l'île Tatihou, 1999.
Lepelley, Roger, Chroniques de la Hougue, Saint-Céneré, Téqui, 1992.
L'Hour, Michel, Veyrat, Elisabeth, "Les épaves de la bataille de la Hougue (Manche)" dans Archaeonautica, 14, 1998.
Luce, Siméon, "Du désastre de la Hougue d’après des documents inédits", dans Annuaire du Département de la Manche, 1858.
Villiers, Patrick, "Victoire de Barfleur ou défaite de la Hougue, 29 mai-2 juin 1692", dans Revue du Nord, t. 74, n° 294, 1992.
Anne-Hilarion Costentin de Tourville
Tourville dans la bibliothèque des Archives de la Manche.
Tourville dans les collections iconographiques des Archives de la Manche.
Vous trouverez également des ressources dans les inventaires d'archives mis en ligne, dont :
- Lettre d'Anne-Hilarion de Costentin de Tourville, à son frère François-César, relative à la succession de leur père, 1689 ( 2 J 1251) ;
- Lettre d'Anne-Hilarion de Costentin, chevalier de Tourville, concernant des attaques de bateaux, et envoyée de la rade de Malaga, 1687 (2 J 1249) ;
- Liste des bateaux de l'amiral Tourville sortant de Brest pour aller à Béveziers, 1690 ( 2 J 2516) ;
- Anagramme de Monsieur le maréchal de Tourville, 1733 (3 J 63) ;
- « Acte d'information et de légitimation de la noblesse de Anne Hilarion de Costentin de Tourville », 15 mai 1656 (2 Mi 9).
Reffuveille, Antoine (dir.), Tourville et les marines de son temps, Saint-Lô, Archives départementales de la Manche, 2003.
Reffuveille, Antoine, Désiré dit Gosset, Gilles (dir.), Tourville, gentilhomme des océans, Saint-Lô, Archives départementales de la Manche, 2001.
Saint-Simon, Mémoires, s.l., Gallimard, La Pléiade, 1947.
Les fortifications
Saint-Vaast-la-Hougue dans les collections iconographiques des Archives de la Manche.
Saint-Vaast-la-Hougue dans la bibliothèque des Archives de la Manche.
Bougard, René, Le petit flambeau ou le véritable guide des pilotes côtiers, Le Havre-de-Grâce, PJDG Faure, 1789.
Faucherre, Nicolas, "Les bastions de la mer", dans Études rurales, n°133-134, 1994.
Guillaume, Lécuillier, "Quand l’ennemi venait de la mer", dans Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 114-4, 2007.
Vauban, Sébastien Le Preste de, Ménant, Joachim (éd.), Mémoire du Maréchal de Vauban sur les fortifications de Cherbourg (1686), Paris, Librairie archéologique de V. Didron, 1851.
Veyrat, Elisabeth, "Tatihou (Manche). Redoute du Nord", dans Archéologie médiévale, t. 27, 1997.