Des affiches pour convaincre
Des affiches pour convaincre
L’objectif de la propagande est de convaincre les peuples, de les rallier à l’idéologie ou au programme de leurs gouvernants. Cette pratique rencontre à l’aube du XXe siècle les techniques de la publicité naissante, c'est-à-dire une place importante à l’image, un graphisme soigné et des slogans aussi simples que percutants.
Cette exposition virtuelle des Archives départementales, Maison de l'histoire de la Manche, vous propose de revivre les années 1914 à 1944 à travers une sélection de leurs plus belles affiches de propagande.
Une exposition des Archives départementales, Maison de l'histoire de la Manche.
Textes, Jérémie Halais
Souscrivez pour la Victoire
En août 1914, lorsque la Grande Guerre éclate, les Français n’imaginent pas qu’ils entrent alors dans quatre années de conflit. D’ailleurs, les stocks de munitions ont été constitués dans l’optique d’une guerre courte et s’épuisent rapidement. A l’automne, les armées s’enterrent sur plus de 800 kilomètres de tranchées, dans la zone la plus industrialisée du territoire national. Les hostilités s’annoncent longues et très vite, la mobilisation de toutes les forces du pays, y compris économiques, est mise en œuvre par le gouvernement. Pour financer la guerre, l’État fait donc appelle à l’épargne des Français et lance, entre 1915 et 1918, quatre emprunts.
Alors même que des millions d’hommes sont mobilisés sur le front, que les femmes travaillent dans les usines, la problématique qui se pose aux autorités est de convaincre leurs concitoyens de contribuer d’une nouvelle façon à l’effort national. Le rôle assigné à la propagande est de présenter les arguments en faveur de cette souscription. Ils sont de trois types : patriotiques, familiaux et idéologiques.
Engagez-vous !
Dans l’entre-deux-guerres, l’armée française apparaît comme la première force militaire européenne et conserve cette réputation jusqu’à son effondrement en 1940. Cette armée de conscription doit cependant faire face, dans les années trente, à une crise du recrutement : 125 000 hommes sont mobilisables contre 250 000. En outre, les Français, qui ont perdu près d’un million trois cent mille soldats entre 1914 et 1918, nourrissent de très forts sentiments pacifistes. Malgré ce problème d'effectifs, l’armée doit assurer de nombreuses missions outre-Rhin, dans les territoires allemands occupés, et dans les colonies, d’où la réalisation de campagnes pour susciter des engagements volontaires.
Les affiches de propagande veulent susciter des engagements volontaires et, pour ce faire, présenter l’institution militaire sous son meilleur jour. La première affiche fait ainsi appel à l’histoire nationale et aux gloires militaires passées de la France. Sa composition mélange la cavalerie des années vingt, figurée par ce soldat en uniforme bleu horizon et ce char Renault, aux cavaliers de l’Empire et de la Révolution. La référence au célèbre tableau d’Edouard Detaille, Le Rêve (1888) est ici évidente. Elle valorise une armée se voulant dynamique et faite pour les « jeunes gens sportifs », mais aussi moderne et équipée de blindés, d’automobiles et d’avions (affiches 2 et 3).
L’engagement dans les troupes coloniales est, quant à lui, valorisé d’une tout autre façon par la quatrième et la cinquième affiche. L’emploi de couleurs chaleureuses mais aussi la diversité des contrées représentées, de l’Afrique à l’Asie, évoquent l’aventure et l’exotisme. Les soldats contrastent avec l’image classique du militaire discipliné et autoritaire. Ils arborent une posture sympathique et des décorations qui promettent à la jeune recrue une belle carrière.
Vichy et sa "Révolution nationale"
Le 10 juillet 1940, les pleins pouvoirs sont votés au maréchal Pétain. Celui-ci s’empresse de s’attribuer le titre de « chef de l’Etat français »; le culte du chef est instauré. Municipalités, œuvres d’entraide et fêtes populaires se doivent de valoriser la personne du maréchal. De nombreux portraits sont imprimés, distribués et affichés dans les lieux publics. L’État français a pour projet la « Révolution nationale » et prône un retour aux « vraies valeurs françaises » : le travail, la famille et la patrie.
L’absence de sourire de Philippe Pétain souligne dans ce portrait sa volonté. Celle-ci est renforcée par l’uniforme de maréchal de France sur lequel on devine, accrochée à sa poitrine, la Croix de guerre, discrète référence aux gloires militaires passées du personnage. Cependant, ce n’est pas un sentiment martial qui se dégage de se portrait, car les cheveux gris et les yeux bleus du vieil homme montrent une figure paternelle rassurante et expérimentée.
La place fondamentale accordée au travail par le régime de Vichy est illustrée par la récupération de la fête du 1er mai et par ce bâton de maréchal posé sur l’enclume du forgeron. Dans ce slogan, « Je tiens les promesses même celles des autres », le régime exprime l’intérêt qu’il porte au monde industriel tout en dénonçant ce qu’il juge comme une faillite, celle du Front populaire dans le domaine de l’amélioration de la situation ouvrière. Cellule de base d’une société saine, la famille est partout valorisée. Au centre de celle-ci, on trouve la figure maternelle célébrée lors de la Fête des mères. Mise en scène dans des couleurs chaleureuses et réconfortantes, le violet et le jaune, la mère est submergée par l’affection de ses nombreux enfants.
Les "ennemis" de Vichy
Le régime mis en place par le maréchal Pétain est autoritaire, antisémite et xénophobe. Sa propagande véhicule, tout au long de la période, l’idée que la défaite est la conséquence d’une coalition de forces intérieures et extérieures. Vichy s’en prend donc à toute contestation politique ou idéologique (résistants communistes et gaullistes), mais aussi aux minorités (Juifs, nomades, francs-maçons). Il s’en prend aussi aux Alliés, et notamment à l’Angleterre et à l’Union soviétique.
Dans la première affiche, on voit un Winston Churchill, Premier ministre anglais, représenté en pieuvre sanglante voulant s’emparer grâce à ses tentacules des colonies françaises. L’affrontement de navires anglais et français à Mers-el-Kébir en juillet 1940, la tentative de débarquement gaulliste à Dakar en septembre 1940 et l’occupation de la Syrie en juillet 1941 sont habilement utilisés par la propagande afin de faire naître chez le lecteur un sentiment d’indignation vis-à-vis de la puissance maritime anglaise.
L’indignation est encore la réaction visée par la représentation de ces résistants qui « assassinent enveloppés dans les plis de notre drapeau ». Le message de l’affiche est une dénonciation de leurs rapports avec l’URSS. Un soldat russe n’occupe-t-il pas tout le second plan ? Il faut encore voir la main de Moscou, ornée d’un bracelet à l’effigie de la faucille et du marteau, dans la perte de l’Algérie et de la Corse, même s’il s’agit là d’un flagrant mensonge puisque les débarquements opérés dans ces deux territoires n’ont pas été le fait de l’URSS mais des États-Unis.
C'est la coalition des ennemis extérieurs et intérieurs que combat un chevalier, symbole de civilisation, dans une « grande croisade européenne ». Le croisé brise ainsi l’élan des forces conjuguées du personnage juif, figuré classiquement avec un nez protubérant, de l’Anglais, reconnaissable au symbole de la livre sterling sur son dos, et du soldat russe portant une étoile rouge sur son casque. Une dernière affiche dénonce une nouvelle fois la propagande anglaise, ces « bobards » que portent en France les cigognes, francs-maçons, Juifs et Gaullistes, mais aussi la BBC qu’évoquent les deux antennes de radio.
La Relève
Signé le 20 juin 1940, l’armistice coûte à la France un million six cent mille prisonniers de guerre. En juin 1942, pour augmenter le départ de travailleurs volontaires pour l’Allemagne, Pierre Laval invente la « Relève », c’est-à-dire l’envoi de trois ouvriers contre le retour d’un prisonnier de guerre français. Par cet envoi massif de main-d’œuvre dans les usines, les mines ou les fermes allemandes, le régime apporte sa collaboration à l’effort de guerre nazi. Le relatif échec du volontariat mais aussi les besoins de plus en plus importants du Reich obligent Vichy, à partir de 1943, à réquisitionner les jeunes générations dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO). 600 000 travailleurs français rejoignent ainsi les 200 000 volontaires déjà présents en Allemagne.
C’est le monde industriel qui est valorisé par les affiches pour la Relève ainsi que le démontrent le bleu de travail et les usines suggérées en arrière plan. Ces éléments laissent entrevoir un avenir prospère pour la France et un relèvement par l’industrie. Des codes nés dans les années trente sont ici utilisés, la silhouette forte et virile de l’ouvrier dessinée dans un graphisme sobre rappelle ainsi les figures stakhanovistes de la Russie soviétique.
L’un des principaux arguments employés afin de convaincre les jeunes de faire ce voyage est la promesse d’un avenir meilleur, mais aussi celui d’accomplir un acte de probité. Partir en Allemagne, ce serait en effet contribuer à la libération des prisonniers, ces ombres emprisonnées derrière des barbelés que l’ouvrier vient rompre. Le prisonnier pourrait, grâce au travailleur volontaire, retourner dans ses foyers. Dans ce dernier document, la référence aux affiches de la Grande Guerre est flagrante, tout comme l’utilisation du photomontage, innovation des années vingt, est une référence à la réclame de l’entre-deux-guerres.